Comment fabrique-t-on
un livre ?

 

our imprimer, on grave dans un support une forme en creux, on passe de l'encre sur les parties saillantes, puis on applique l'ensemble sur la surface à imprimer (généralement du papier) en pressant très fort pour que l'encre se dépose partout de façon égale. Les chinois utilisaient depuis longtemps l'impression et le papier, mais l'invention géniale de Gutenberg, celle qui a permis l'imprimerie moderne, c'est d'avoir utilisé des caractères mobiles en plomb assemblés à l'envers, et réutilisables.

Le corps est la taille
de la police de caractères,
calculée en «points».

Le cran est la rainure
qui permet d'assembler
et de maintenir dans
un alignement parfait
la ligne de texte.

orsque le typographe compose une page, il s'installe devant un meuble spécial appelé une casse, constitué de petites cases appelées cassetins qui contiennent des centaines de caractères en plomb placés en fonction de leur fréquence.
Casse d'imprimeur au XVIIIe siècle :
n bas, les minuscules sont placées tout près du typographe parce qu'elles sont 60 à 70 fois plus utilisées que les majuscules. Le typographe ne les appelle pas «minuscules», mais «bas de casse». Les majuscules, que les typographes appellent «capitales», sont placées en haut, donc plus loin.
insi, un typographe a besoin de disposer
— des 26
bas de casse,
— des 26
capitales,
— des lettres
accentuées,
— des lettres combinées
æ, Æ, œ, Œ,
— des 10
chiffres,
— des signes de ponctuation
, . ; : ? ! ...,
— de signes divers
' - / + = % ° ( ) [ ] « » § * & etc.,
— et enfin des
espaces en grand nombre et de longueurs variées pour ajuster les mots à la longueur de la ligne (car un bon typographe s'efforce de jouer sur l'espacement pour ne jamais devoir couper un mot en fin de ligne).

Casse moderne (les cases en gris sont réservées
aux espaces de différentes tailles :
ur l'image ci-dessus, vous pouvez observer qu'un petit nombre de cases attendent de recevoir une affectation, selon les besoins de l'ouvrage, mais il reste encore à loger 8 capitales accentuées, et un certain nombre de signes divers, qui n'ont pas d'attribution fixe.
     Un typographe qui n'a pas le temps d'acquérir un réflexe nouveau et différent de l'ouvrage précédent, peut par sécurité prendre la capitale non-accentuée, pour éviter de rompre la cadence de son travail. D'autre part, ces caractères spéciaux ou peu fréquents risquent d'être regroupés par catégorie dans une case, ce qui oblige à chercher et trier et donc à perdre du temps. Enfin, ces caractères sont placés haut et loin sur la casse, ce qui demande un effort plus grand.
n ouvrage ordinaire comporte 30 à 40 lignes par page, une ligne habituelle contient entre 40 et 50 lettres, ce qui fait, pour un roman moyen de 300 pages un total de 360 000 à 600 000 caractères de plomb, dont 16 à 17 % de lettre «e». Le stock de caractères correspondant est très onéreux, et le travail de composition est considérable ; un chef d'atelier soucieux de rendement peut donc demander à ses typographes une cadence qui les pousse à éviter tout ce qui peut ralentir leur rythme, et donc à négliger les capitales accentuées (moins de 2% des capitales, 1 pour 4000 caractères).

l vient s'ajouter à cela le fait qu'on peut avoir besoin de tailles différentes pour une petite note en bas de page, un intertitre, une légende d'illustration...
Rien que pour la page de couverture du dictionnaire de l'académie française (voyez ci-contre), on relève 8 tailles de A, 6 tailles de E, et 5 tailles de É. Du reste, vous avez pu observer qu'il manquait à l'imprimeur un À d'une grande taille pour cette page, mais sur la page suivante, dans le corps du texte, il avait en grand nombre les À de la taille nécessaire.
Stocker une grande variété de tailles est très onéreux pour un imprimeur, il peut être amené à faire des économies sur certains plombs utilisés moins fréquemment.
uand on a la variété de taille, on s'aperçoit qu'on peut avoir besoin d'italiques dans les tailles correspondantes (par exemple pour inclure un titre), ce qui multiplie d'un coup par deux la variété des caractères.
t quand on a ces italiques en variété suffisante, on découvre qu'il faut pouvoir mettre certains passage en relief avec des caractères gras, et qu'il faut stocker ces caractères gras pour toutes les tailles des romains et des italiques, ce qui multiplie encore par deux le nombre précédent ; sans compter qu'il existe pour un même caractère des «graisses» plus ou moins épaisses.

e plus, dans certains cas (manque de place...) on peut vouloir un texte de même hauteur de corps, mais plus serré pour faire tenir plus de mots sur la ligne, c'est ce qu'on appelle un caractère condensé, ce qui augmente encore les stocks nécessaires.

oilà notre atelier d'imprimeur déjà bien encombré pour répondre aux exigences variées d'un livre, mais nous n'avons qu'un type de dessin de caractère ! Or ce dessin appartient à la famille des elzévir, qui comporte d'autres dessins de caractères, et un client peut demander que son texte soit imprimé en Baskerville, en Caslon, en Times... la famille est très nombreuse ! Et à côté de cette famille existent la famille des didones, celle des mécanes, celle des antiques... Sans compter qu'une «famille» se développe beaucoup depuis un siècle, celle des caractères de fantaisie... Ainsi, répondre aux caprices d'une clientèle devient vite un cauchemar : il n'est pas possible d'avoir trop de stocks, et si l'on peut économiser, on évite d'avoir en réserve des caractères peu fréquents comme les capitales accentuées.

Quelques exemples de variétés parmi des milliers d'autres :

ugez-en vous-même : autrefois les typographes étaient tributaires de l'approvisionnement en caractères peu fréquents, des économies de stocks, des cadences de composition, et peut-être parfois de leur négligence, mais les éditeurs de qualité, les instances officielles, les spécialistes de la langue savaient exiger une typographie impeccable. Aujourd'hui, avec l'informatisation, seules la négligence et l'ignorance peuvent expliquer des oublis d'accentuation.