L'enjambement

 

Dans l'idéal, il faudrait que la phrase équivale à un vers, avec deux propositions de six syllabes :
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits. (Hugo)

Mais comme ce n'est pas souvent le cas, il se produit une discordance entre la structure du vers et celle de la phrase, généralement plus longue que le vers. On donne à ce phénomène le nom d'enjambement.

* enjambement complet
La phrase ne marque pas de pause en fin de vers, mais passe par dessus la fin de vers (enjambe) pour continuer sur le second vers.
Si l'on privilégie la phrase dans la diction (pas de pause en fin de vers), on obtient un effet de continuité et d'ampleur.
Si l'on privilégie le vers (une pause en fin de vers), on obtient un effet d'attente et de mise en relief.
En réalité, ce qui produit le phénomène, c'est que la phrase franchisse une coupe, et de ce fait, on peut avoir à observer des enjambements par dessus la césure, appelés enjambements internes.

enjambement externe :
     
enjambement interne :
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
(Vigny)
Dans le manteau de pluie et d'ombre des batailles (Aragon)

* enjambement incomplet
Il existe deux cas particuliers : le rejet et le contre-rejet qui sont des enjambements incomplets.

Il va de soi que plus la structure du vers vient perturber celle de la phrase, et plus l'enjambement est fortement ressenti.
Autrement dit, plus la coupe franchie par la phrase est forte, et plus l'enjambement paraît vigoureux : enjamber d'une strophe à la suivante est évidemment plus audacieux que d'enjamber d'un hémistiche au suivant.
De même, plus le lien grammatical rompu par le vers est étroit et plus l'enjambement est perturbant : un enjambement qui sépare des groupes syntaxiques là où l'on attend naturellement une pause est imperceptible et insignifiant, alors qu'une rupture dans le groupe de mots entre un nom et son adjectif, ou entre l'article et le nom est perçue comme une anomalie dans la continuité du texte. De ce point de vue, on peut noter que le sujet est moins lié au verbe que le complément d'objet direct.

Boileau avait interdit l'enjambement sauf s'il était complet et respectait les groupes syntaxiques, mais le conseil a été peu suivi, et la littérature classique utilise l'enjambement par nécessité, mais avec prudence.